Interview Skream

Nous avons interviewé Skream, à l’occasion de sa venue à Paris, pour la première soirée Basement Ltd, en février 2007. Longtemps restée dans la liste des projets à achever, l’interview n’est publiée que maintenant, mais l’essentiel des propos reste d’actualité. Le retour imminent de Skream à Paris nous a incité à mettre en ligne cet échange où il décrit la lente évolution de la scène jusqu’au succès actuel ainsi que ses projets à venir.

Dubstep.fr : Raconte-nous comment les choses ont commencé… Comment as-tu vu évoluer la scène à partir de FWD, puis DMZ, etc. ?

Skream : Je parlerai de FWD, la soirée dubstep bien connue à Londres. Ca a commencé comme une soirée garage underground et c’était juste pour les gens qui jouaient non pas les promos et les morceaux déjà sortis, mais qui jouaient leurs propres morceaux inédits en dubplates.

Bon, on ne jouait pas vraiment de CD à cette époque, plutôt des dubplates. FWD était un endroit pour les gens qui jouaient et appréciaient la musique underground et à l’origine c’était vraiment un truc UK garage : belle sape, verre de champagne à la main, bien chaussé…

Et puis le UK garage est mort, mais FWD a continué et la soirée s’est déplacée de Velvet Rooms à Plastic People qui est, comme chacun sait, un très bon club londonien. Quand l’appellation est passé de UK garage à dubstep, c’était seulement un truc de journaliste et de spécialiste, tu avais quelques DJ et producteurs et c’est tout.

Pour être honnête ce n’étaient pas forcément les fêtes les plus réussies, mais tu y entendais la meilleure musique underground du moment. Et c’est comme si chacun était impliqué d’une manière ou d’une autre, mais tout le monde y mettait beaucoup plus d’effort que nécessaire parce qu’en 2003 l’ensemble des ventes de vinyls a chuté, quand le 8bar grime est arrivé à Londres, c’était, woah, ça a juste tué les ventes de vinyls. Il n’y avait pas de ventes de disques donc à cette époque les gens ne voulaient pas trop s’impliquer parce qu’il n’y avait pas tellement d’argent, et quand il n’y a pas beaucoup d’argent qui veut vraiment être impliqué en tant que DJ ou producteur ?

Donc il n’y avait que quelques personnes. Honnêtement les seules personnes dont je me rappelle, en plus de moi-même, sont Kode9, Horsepower, Benga bien sûr, Hatcha et Slaughter Mob, et ça a duré comme ça pendant deux ans et c’était un peu calme, mais je voulais toujours faire de la musique et rester concentré dessus autant que possible. Benga faisait du hip hop et Hatcha était booké pour des sets house et garage.

Et alors les Digital Mystikz sont arrivés et c’était comme si, à ce moment nous avions à nouveau quelquechose de frais, parce que tous les pionniers qui avaient fait, non pas du dubstep, mais du garage underground comme El-B, Zed Bias, Artwork, comme tout le monde ils avaient laissé tombé.

El-B a commencé à faire du hip hop, Zeb Bias faisait toujours une sorte de breaks, Artwork fait toujours de la house, ce qu’il fait bien, donc c’est compréhensible, mais c’était comme si c’était déjà condamné à rester dans l’ombre avant même que ça démarre, et alors les Digital Mystikz sont arrivés, ils sont juste arrivés avec des bons morceaux et ça commencé à être intéressant à nouveau, ça a recommencé à évoluer. Tout le monde… Benga s’y est remis et Hatcha s’y est remis comme avant et j’ai commencé à me concentrer dessus plus que je ne l’avais fait auparavant et tout a commencé à bouger à nouveau. Et les soirées à Londres et le dubstep sont ce qu’ils sont maintenant… La seule chose que je peux dire, pour moi qui ai été impliqué depuis 2002 jusqu’à maintenant, c’est comme si les soirées à Londres étaient surréelles parce qu’entre se tenir là dans un club avec vingt personnes et être dans un club avec 800-900 personnes, tu te dis « Putain ! », en fait tu ne peux rien dire, tu restes sans voix…

Dubstep.fr : Je crois que le premier anniversaire de DMZ en mars 2006 a marqué un tournant…

Skream : C’était incroyable ! J’y suis arrivé tôt, j’ai déposé mon bac de disque et tout ce dont je me souviens c’est que vers 23 heures, j’étais à Third Base et tout le monde hallucinait, nous étions tous serrés comme des sardines. Et je me souviens que Mala (Digital Mystikz, organisateur des soirées DMZ. ndlr) m’a dit « On va déplacer la soirée dans la plus grande salle du haut. » J’ai pensé que c’était une blague ; je me souviens que c’était pendant le set de Joe Nice et, sur le net, il y a une photo de Mala avec un sourire chuchotant à quelqu’un, et voilà ça résumait la soirée. Je me rappelle courir partout en disant « On est monté, on est monté dans l’autre salle. » Et il restait encore des centaines de gens en bas et on est monté… C’était vraiment une soirée mémorable.

C’est comme la soirée FWD aussi. Il y a eu la soirée de lancement de mon album en octobre 2006 et c’était la première fois que j’ai vu FWD au complet de chez complet. Les gens entraient un par un : un qui sort, un qui entre, à partir de onze heures – minuit. Et Sarah, qui dirige FWD et Ammunition, m’a dit : « Viens voir ici une minute. » Et je me suis dit : « Qu’est que j’ai fait ? Je vais avoir des soucis… » Et elle m’a amené dehors et m’a montré une file d’attente d’une centaine de personnes supplémentaires. C’était juste avant que je joue et ça m’a mis la grosse pression. Mais maintenant les soirées à Londres sont vraiment très bonnes au point que Plastic People est complet tous les vendredis. DMZ est complet quelle que soit la date, pareil à l’étranger, à New York et même en Australie où j’ai joué pour la première fois et ils étaient vraiment très encourageants. Partout, ailleurs qu’à Londres, même à Bristol c’est vraiment très bon, c’est comme une deuxième maison pour le dubstep, et tu as Leeds qui monte toujours des bonnes soirées, ça va vraiment très bien partout.

Dubstep.fr : La première fois que je suis allé à DMZ en 2005, c’était encore une scène presque familliale. Penses-tu que le succès actuel a fait perdre une partie de cette atmosphère si particulière ?

Skream : En fait, nous venons tous de groupes d’amis. Par exemple, il y avait moi, Benga et Hatcha et nous étions tous amis, puis il y a eu Mala, Coki, Loefah et Pokes, ils étaient tous bons amis et quand on s’est rencontrés en 2004/05, nous sommes devenus de très bons amis, je suis très proche de Mala, je suis proche de la plupart d’entre eux.

Et je comprends ce que tu veux dire à propos de la vibe aux premières DMZ parce que c’étaient les gens qui voulaient que le dubstep soit … — en fait, pas le dubstep, je ne veux pas dire dubstep — ; nous voulions que la musique que nous faisions à ce moment-là soit quelque chose de spécial et tout le monde venait là, même s’ils avaient quelque chose à faire, s’ils devaient aller à un mariage ou à des funérailles, hé bien ils y allaient, et ensuite ils venaient à DMZ. Donc tout le monde voulait que ce soit spécial, parce que même si pour moi et d’autres, ce n’était pas notre soirée, c’était quand même là où notre musique était jouée, là où nous jouions, là où nous voulions faire quelque chose de différent, donc c’était cette unité complète.

C’étaient tous ceux qui étaient déjà au courant, qui sortaient. C’était : « Bon, c’est ce qu’on veut, donc on y va et on aide. » Pas aider dans le sens où de toute façon ça ce fera, mais juste, c’est ça qu’on veut. Et maintenant c’est toujours cette vibe. Mais c’est comme n’importe quelle scène en général, ça commence avec les gens qui s’y investissent et maintenant tu as des gens extérieurs, ce ne sont pas ceux du début, mais tu as besoin d’eux et maintenant ils sont là et tu as toujours cette unité entre chacun.

Mais maintenant chacun est habitué à la vibe des autres personnes dans la soirée. Si tu vois quelqu’un un peu bourré, un peu bruyant, tu as juste à bouger, on est revenu dans le monde réel, on est plus dans le monde du dubstep parce que maintenant ce ne sont plus uniquement des soirées de spécialistes. Par exemple, à la soirée du deuxième anniversaire de DMZ, il y avait une quantité délirante de gens de toute l’Europe, d’Amérique, d’Australie, donc maintenant tu dois faire avec la vision que les autres ont sur la musique.

Comme par exemple, il m’est arrivé de mixer et d’entendre des gens passer en disant : « Je n’aime pas cette merde ! » Ca ne me gène pas vraiment parce que je sais que la majorité du public aime. Mais c’est bon d’entendre quelqu’un dire qu’il n’aime pas quelquechose, tu en prends note, ça ne veut pas dire que tu vas complètement changer de délire, mais c’est bon d’entendre le point de vue des autres.

Je peux voir que la vibe a changé, mais je ne pense pas que ce soit pour le pire. Ca amène simplement à se dire qu’on a atteint des soirées du même niveau que d’autres genres comme la house, la drum & bass, le hip hop. Nous avons maintenant la même quantité de public, tandis qu’avant il n’y avait que des spécialistes. Maintenant le bouche à oreille et les journalistes ont pris le relais. C’est une chose à laquelle il faut s’habituer dans la vie, je pense, comme avec n’importe quel style de musique.

Dubstep.fr : Parle-nous de tes projets à venir pour les prochains mois. Tu prévois de lancer ton label, n’est-ce pas ?

Skream : Le label n’est pas encore complètement finalisé, mais c’est quelque chose que je vais faire. Il s’agit de morceaux que j’aime beaucoup mais qui laisseront peut-être Tempa ou d’autres labels indifférents.

C’est une chance de sortir des trucs qui me plaisent vraiment et je veux ramener cette espèce de vibe garage à l’ancienne où tu avais le morceau original et un remix sur la face B. C’était comme ça. Tu avais l’original et le remix sur l’autre face, tu n’avais pas besoin d’attendre trois mois pour le remix. Je veux juste que ça sorte.

Et je veux faire sortir de nouveaux producteurs, c’est ça que je veux vraiment faire. Je connais des gens comme Kromestar, ils sont déjà établis, mais je veux les aider encore plus ; et Quest, Silkie, des gens comme ça : ce sont de très bons producteurs, mais ils ne sont pas assez exposés. J’ai aussi une paire d’autres producteurs, comme mon frère Hijak et un ami nommé Snake… Il y a quelques personnes que je veux amener sur la scène parce qu’ils le méritent. Ce sont des gens qui n’ont jamais été véritablement remarqués, donc je veux attirer l’attention sur eux.

Dubstep.fr : J’ai entendu parler de quelques remixes pour d’autres scènes, techno entre autre…

Skream : J’ai fait un remix pour Mark Ashken, un producteur de techno minimale originaire de Leeds, UK. Il aurait entendu un artiste techno nommé Craig Richards jouer quelques uns de mes tracks et m’a contacté et demandé de faire des remixes. Je suis content parce que ça a ouvert une autre facette de la musique que j’ai l’habitude de faire, comme le driving minimal… Les morceaux s’intitulent « Roots Dies Dark » et « Side Spree ».

Je pense qu’ils devraient sortir à la fin du mois de mars 2007, sur Leftroom, en même temps que le Skreamism 3. Il y a aussi deux remixes dont je suis heureux. J’ai fait ce remix pour un mec appelé Dr Blue, pour un producteur de dub anglais, il a fait un morceaux intitulé Dr Who et je viens juste d’en faire un remix et j’en suis plutôt satisfait. J’ai fait des remixes pour Benga. Et je pense qu’avec Mala, nous allons bientôt nous échanger des morceaux à remixer.

Avec un peu de chance, je vais travailler un peu plus avec Coki et Loefah. Je veux vraiment retravailler avec Loefah parce que nous fonctionnons très bien ensemble. Je vais faire plus de choses avec mon frère Hijak. Je veux juste continuer dans la même direction.

Il se peut aussi que j’aille aux States pour faire de la production. Je ne sais pas vraiment pour qui (rires), mais apparemment c’est prévu… C’est très bien parce que pour moi, il s’agit toujours d’apprendre, au bout du compte. J’ai vingt ans, et tout ce que je n’ai pas encore pu faire c’est parce que je n’ai que vingt ans. Je veux arriver à vingt-cinq ans et être un artiste établi.

Dubstep.fr : Merci beaucoup Skream. Veux-tu ajouter quelque chose ?

Skream : Oui merci. Sort et va acheter Skreamism 3 s’il te plait et s’il y a un nouvel album à la fin de l’année merci d’aller l’acheter.

Propos recueillis par Alex King et Synaptic, transcrits par Poppy et traduits par David.
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