Interview Kode9 part 1

Kode9 est un des DJs producteurs les plus respectés de la scène dubstep. Il dirige le label Hyperdub ainsi que le magazine en ligne du même nom. Il est DJ résident en rotation de la séminale soirée Forward, au club Plastic People à Londres, et son émission hebdomadaire “Forward Show” diffusée sur la station de radio pirate Rinse FM remporte tous les suffrages. Outre ses productions sorties sur son propre label, il a signé des tracks sur Tempa et Rephlex. Il est aussi journaliste pour les magazines Deuce, XLR8R et Fact. Nous l’avons rencontré le 28 janvier 2006, à l’occasion de sa venue à Paris pour la soirée Melting Point au Point Éphémère. Il nous a fait part de ses influences, de sa vision du dubstep, de ses projets musicaux et philosophiques…

Synaptic : Pour commencer pourrais-tu nous dire d’où vient ton nom de producteur Kode9 ? À quoi cela fait-il référence ?

Kode9 : Ce nom est la convergence de différentes petites choses qui m’intéressaient il y a sept ou huit ans, mais la plus importante est que le 9 est la mère de tous les nombres et qu’il a des pouvoirs particuliers, par exemple si on ajoute 1 + 8 ou 2 + 7 ou 3 + 6 ou 4 + 5, etc. Ko est aussi un caractère dans le I Ching et signifie changer de peau, muer.

Synaptic : Tu es plutôt bien établi sur la scène dubstep. Comment décrirais-tu ce son ?

Kode9 : C’est un son qui vient du sud de Londres en particulier, issu du côté plus dark, dubby du 2step, UK garage. Il est très axé sur la sub-bass et est souvent assez minimal. Il y a dans ce son pas mal de vestiges de dub et de dancehall. Actuellement à Londres, c’est axé sur deux soirées : DMZ à Brixton au sud de Londres et Forward à Shoreditch. Il y a plusieurs DJs dubstep sur la station de radio pirate Rinse FM comme DJ Hatcha, Youngsta, N-Type, Chef, Scientist, Distance et moi-même — j’y présente le Forward Show… Il s’agit vraiment d’infrabasses, de les ressentir tout simplement ; il s’agit de la présence physique de l’infrabasse et aussi de l’espace, il y a beaucoup d’espace dans cette musique.

Synaptic : C’est encore une scène underground très petite, mais elle s’est développée rapidement ces deux dernières années. Comment l’expliques-tu ?

Kode9 : Comme je le disais, c’est une musique issue du UK garage, et le UK garage était comme moribond en 2001-2002. Et de ce cadavre est sorti le grime qui est plus axé sur le MCing ainsi que le dubstep qui tend à être plus instrumental. Ces deux sons ont commencé à se différencier du UK garage et le son est devenu plus lent, plus lent quoiqu’il en soi, bien que le tempo soit en fait légèrement plus rapide. Et quelquechose s’est passé ces deux ou trois dernières années. Le grime a explosé beaucoup plus vite que le dubstep, parce que ses artistes avaient des visages, des voix, des identités, ils avaient une sorte de potentiel de starification que le dubstep ne possède pas de la même façon. Dans le dubstep, il s’agit bien plus de son que de stars particulières. C’est moins axé sur l’égo à la différence d’une part importante du grime, à mon avis. Ce qui s’est passé ces deux dernières années, je pense, est en grande partie lié au label et aux soirées DMZ, mais aussi à la hype que le grime a générée…

Synaptic : Et aux compilations “Grime”…

Kode9 : Les compilations “Grime” sur Rephlex, avec des artistes comme Digital Mystikz, Loefah, Plasticman, Mark One, Slaughter Mob… Oui, je pense que ce qui s’est passé ces deux dernières années, c’est que des gens qui n’aimaient pas le garage ont commencé à réaliser qu’il ne s’agissait plus de garage. Et donc ça a attiré des gens de l’electronica, ça a attiré des gens de la scène drum and bass, de la scène jungle, parce que beaucoup de gens sont las de ce status quo musical… Donc chacun cherche quelque chose de frais… Et en ce moment les gens semblent trouver quelque chose de frais dans la musique que nous faisons. Donc effectivement ça semble croître progressivement et se répandre à l’étranger…

Synaptic : Dans quel son étais-tu toi-même avant d’être dans le dubstep ?

Kode9 : La musique qui m’a saisi à l’origine est la jungle. En 94-95-96, juste à la fin du son ragga jungle et des premiers Metalheadz. Juste quand il y avait cette variété de sons, il y avait les trucs plus influencés par le dancehall et il y avait les trucs plus influencés par la techno de Detroit et tout était mélangé, pas nécessairement dans la même soirée, mais les disques étaient présents au même moment. Les DJs jouaient un peu de tout. Et j’ai perdu mon intérêt pour la drum and bass quand elle est devenue plus dure et plus froide. J’aimais les premiers trucs de No U Turn, mais quand ce son a complètement pris le dessus sur tout le reste en 98, je me suis désintéressé. Et là j’étais dans le UK garage, mais j’étais toujours du côté du UK garage le plus influencé par le reggae et par le dancehall, et moins dans les trucs r’n’b. Donc c’était vers 98-99, et puis, pour moi le dubstep a commencé en 99 avec des labels comme Ghost et des producteurs comme El-B et Zed Bias, et donc j’ai juste suivi la façon dont le son dubby a muté depuis ce moment. Par ailleurs, depuis la fin des années 90, j’écoute beaucoup de dub allemand que ce soit Rhythm And Sound ou Pole, ce genre de son. Dans un sens, il est probable que ça ait autant d’importance que la jungle dans le dubstep pour moi, simplement à cause de la lenteur et des textures, les textures dub.

Synaptic : La drum and bass est toujours un mouvement important partout dans le monde. Penses-tu qu’elle pourrait évoluer à travers l’influence du dubstep, plus tard ? Je pense notamment à l’approche halfstep des beats de producteurs comme Amit…

Kode9 : Pour moi il y a une frange de la drum and bass qui — sans être influencé par le dubstep — possède clairement les même éléments, comme pas mal de trucs de Digital, tu sais ce son steppy subby, et les trucs du genre plutôt halfstep d’Amit… Je sais que des gens comme Amit et Klute viennent aux soirées dubstep et qu’ils aiment le son — je ne sais pas s’ils en subissent l’influence parce que dans un sens le dubstep va complètement à contre-courant de l’évolution de la drum and bass qui est devenue de plus en plus rapide jusqu’à maintenant. Alors si le dubstep pouvait avoir une influence sur la drum and bass, ça pourrait aider à réduire un peu la vitesse et à simplement axer de nouveau les choses sur la sub-bass, contrairement à ce genre de basse distortue dans les medium qui prend le pas sur tout le reste et qui plait à un public sous cachets et speed. Ce n’est pas vraiment l’ambiance d’une soirée dubstep ; tu sais, il s’agit d’un public constitué beaucoup plus de fumeurs de weed que de gens sous excitants.

Synaptic : Les gens habitués à la drum and bass ou à d’autres genres de musique de club trouvent souvent le dubstep un peu lent et pas forcément très dansant. Mais la vibe d’une soirée comme DMZ est énorme. En fait, il s’agit d’une approche très différente… Que pourrais-tu dire à ce propos ?

Kode9 : Je pense que la raison pour laquelle les gens trouvent le dubstep lent lorsqu’ils viennent de la drum and bass est dû au fait qu’il y a beaucoup d’espace dans la musique. Dans un sens, c’est une musique plus interactive parce que tu dois réellement ajouter toi-même, tu dois combler le rythme entre les espaces toi-même, le créer toi-même, et ensuite danser ; c’est là-dessus que tu danses. Dans un sens, je trouve ça intéressant parce que certains des éléments sur lesquels tu danses ne sont pas réellement présents, mais ils sont là virtuellement. Ce n’est donc pas une musique de danse où tout est offert sur un plateau, tu dois véritablement interagir un peu plus avec la musique et combler les espaces toi-même. Mais c’est une musique skanky, si tu peux danser sur du dub, tu peux danser sur du dubstep. C’est juste que tu dois plonger pour trouver le rythme au lieu d’avoir plein de breakbeats frénétiques qu’il suffit de suivre comme dans la drum and bass. Je crois que c’est pour ça que les gens le trouve difficile. Les gens trouvaient la jungle difficile lorsqu’elle émergeait, parce qu’ils n’étaient pas habitués à avoir autant d’éléments rythmiques et donc ils étaient confus. La plupart des producteurs et DJs dubstep viennent de la jungle et maintenant c’est presque comme si nous connaissons tellement bien la jungle que nous n’avons plus besoin d’entendre les breakbeats rapides ; c’est déjà dans nos corps. Ce qui était excitant dans la jungle a presque été intériorisé dans nos systèmes nerveux, donc nous n’avons plus besoin d’autant d’éléments pour avoir la même vibe. Je pense que c’est peut-être un aspect de la question. …/…

Lire la 2e partie de l’interview, où il est question de l’expansion du dubstep aux États-Unis, de l’actualité de Kode9 et de son label, de l’hyperdub et de philosophie…

propos recueillis et traduits par Synaptic.
Merci à Kode9, Eva Peel, Subrider et Poppy.
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